dimanche 13 décembre 2015

1985 RDA

Lundi 22 avril 1985

A 9h18, je prends le train pour Berlin en gare de Strasbourg.
Passage de la frontière de la République fédérale d'ALLEMAGNE à Kehl.
Arrêt à Frankfurt-am-Main (Francfort-sur-le-Main).
Premier centre économique de l’Allemagne, c’est la plus grande ville du Land de Hesse.
La capitale financière de l’Allemagne souligne son importance par des prouesses architecturales.
Je sors de la gare intra-muros, une des plus grandes gares d'Europe. Je parcours une grande avenue où gratte-ciel, citadelles de verre et somptueux immeubles de béton s’élèvent dans le ciel de la ville. Je m’achète un sandwich et, après cette étape d’une heure ou deux, je retourne à la gare.
Reprise du voyage jusqu’à Hanovre. Là, on change de train ; de standing aussi… Le compartiment est bondé : essentiellement des Allemands de l’Ouest qui se rendent à Berlin-Ouest.
Vers 18h, on approche du « rideau de fer ». Des rangées de barbelés en pleine campagne rejoignent la voie de chemin de fer, l’enserrent en un étau.
Et le train pénètre en République Démocratique ALLEMANDE.

Issue du secteur d'occupation dévolu aux troupes soviétiques lors du partage territorial de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, la République Démocratique Allemande (RDA) est créée le 7 octobre 1949.
Le pays est membre du Pacte de Varsovie.

La gare de Helmstedt-Marienborn est la première vision de la RDA que l'on ait lorsque le train s'arrête.Le drapeau national aux couleurs de l’Allemagne, avec le marteau, le compas et les gerbes de blé rappelle que le voyageur arrive dans la « patrie des ouvriers et des paysans ».
La petite gare est impressionnante avec ses gardes-frontières qui patrouillent avec des chiens et surveillent sous les wagons. Accueil glacial. Les « vopos » (membres de la « Volkspolizei ») montent dans le train…
Pendant ce temps, on change de locomotive : l’écartement des rails n’est pas le même qu’en RFA. Le train s’ébranle. Il va parcourir 150 km à travers le pays en 3h. Rythme poussif à travers la campagne. Terres collectivisées, fermes nationalisées et aussi friches giboyeuses où  broutent des chevreuils… 
Dans le train, contrôle des passeports et des visas. On me pose des questions que je ne comprends pas. Ma connaissance de la langue allemande laisse à désirer. Mon voisin de banquette me traduit les questions : « Ou allez-vous ? – Berlin ! ». « Que venez-vous faire ici ? – tourisme. » Le policier a l’air incrédule. On se demande pourquoi ! Mais mon visa et mon « voucher », bon d’hébergement, sont en règle.
Peu à peu la nuit tombe. Le train s’arrête à la dernière gare avant la frontière. Les vopos descendent.
On arrive à Berlin-Ouest, à la gare « Zoologischer Garten ».
À la fin de la guerre, Berlin est séparée en quatre secteurs d'occupation : américain, britannique, français et soviétique. Les secteurs américain, britannique et français sont regroupés et forment Berlin-Ouest tandis que le secteur soviétique devient Berlin-Est et capitale de la RDA.
Le 13 août 1961, le mur de Berlin est construit entre les deux parties de la ville par les autorités est-allemandes avec l'aval des Soviétiques afin d'empêcher les Berlinois de l'Est de fuir à l'Ouest.
Tout le monde descend. Je reste seul dans le compartiment. Dans le wagon aussi… Par curiosité, je parcours d’autres wagons : un seul autre voyageur…
Au bout de dix minutes, le train repart, lentement… Il franchit la ligne de démarcation et entre à BERLIN-EST, la capitale de la R.D.A.
Il est 21h15. Le train s’arrête à la gare « Ostbahnhof ». Impressionné, je descends de nuit sur un quai désert, je parcours de tristes couloirs pour atteindre un poste de police. Contrôle draconien du passeport, du visa et du voucher. Vérification approfondie de la concordance avec la photo du passeport : de face, de droite, de gauche… Questionnement sur les raisons de mon arrivée. Lorsqu’on me laisse enfin passer, je me dirige vers un guichet de change : Deutsche mark contre Ostmark, le mark de la RDA.

Je sors de la gare, je monte dans un autobus. Je fais comprendre que je cherche le « Palast Hotel ». Je paie, je composte un ticket. Le chauffeur m’arrête devant l’hôtel.
C’est un hôtel pour étrangers, obligatoirement réservé à l'avance depuis la France.
A la réception, on vérifie ma réservation et on me mène à ma chambre.
Par la suite, je descends au bar jusqu'à 23h50. Je bois du whisky, au milieu d’étrangers de toutes nationalités, mais essentiellement des pays de l’Est. Monde en vase clos, coupé de la vie quotidienne des habitants. Les tarifs pratiqués le sont aussi…

Mardi 23 avril 1985

Aujourd’hui, je vais visiter Berlin-Est.
Il fait un temps gris, annonciateur de pluie. La ville est austère et froide.

Depuis les rives de la Spree, je dirige mes premiers pas vers le centre-ville.
L’Alexanderplatz est la place historique de Berlin. Entièrement détruite pendant la dernière guerre, elle fut reconstruite selon l’esthétique stalinienne.
Esplanade aux dimensions inhumaines, encerclée de buildings tous plus ternes les uns que les autres. Gigantesque frise de mosaïque sur la Maison de l’Enseignant, où d’immenses drapeaux rouges et est-allemands sont tendus le long de la façade.  Fontaine de l’amitié entre les peuples, horloge universelle où est indiquée l’heure de tous les pays du monde.


Non loin de là se dresse la tour de télévision (365 m).


Je parcours la Karl Marx-Allee, première avenue « socialiste » de la capitale. Une horreur ! Large boulevard, bordé de buildings de l’époque stalinienne… Je passe à  Leninplatz que domine, comme il se doit, un monument à la gloire de Lénine.


Retour au pied de la tour de télévision : là se niche la petite « Marienkirsche », une église gothique. Contraste saisissant entre l’église et le monstre de béton. A l’intérieur une fresque de 22 mètres de long, la « Danse macabre ».
Je commence à avoir faim. Non loin de là, un restaurant est ouvert. Il y a la queue à l’entrée. On y entre lorsque quelqu’un sort. C’est un resto populaire où l’on vient manger en famille. On m’indique une table ronde où vient de se libérer une place, parmi les autres clients. Inhabituel, pour un occidental ! C’est l’occasion de lier conversation avec mes voisins intrigués. Mais ma faible connaissance de la langue allemande limite sérieusement la discussion.
Pour accompagner saucisses et viande de porc, la pomme de terre et le chou sont omniprésents ; et la bière… tout cela pour un prix dérisoire. Rien à voir avec les tarifs pratiqués à l’hôtel. 

L'après-midi, je me rends à la Marx-Engels Platz, bordée par le palais de la République, les bâtiments du Conseil d'Etat et le siège du Comité central du Parti socialiste unifié d'Allemagne (Parti communiste). Je visite le palais de la République, aux façades de verre couleur cuivre. Inauguré en 1976, il est le siège de la Volkskammer - le parlement est-allemand - et un important lieu culturel et de rencontre. Le bâtiment est unique en son genre : spectacles d'artistes nationaux et internationaux, petit théâtre, expositions, restaurants, café à glace, discothèque, bureau de poste, piste de bowling, exposition de peintures et autres oeuvres culturelles, le tout dans un marbre blanc importé de Suède.

Et puis j'arpente le boulevard "Unter den Linden" (Sous les tilleuls), la grande avenue berlinoise, à l'origine chemin campagnard vers la réserve de chasse de Tiergarten ! Impressionnante enfilade de monuments et bâtiments historiques dans un premier tronçon, avenue plutôt tristounette dans le tronçon menant à la porte de Brandebourg, avec ses bâtiments administratifs construits après la guerre. D'autant plus que la pluie s'est mise à tomber... J'arrive ainsi à la Pariser Platz, vaste esplanade interdite d'accès que domine la porte de Brandebourg, symbole de la division allemande. Le drapeau est-allemand flotte sur le quadrige. Et juste derrière, le Mur de Berlin... 
Plus de trois millions de réfugiés vers l'Allemagne de l'Ouest entre 1949 et 1961 amènent à la construction d'un rideau de fer puis du mur de Berlin le 13 août 1961. On ouvre le feu sur toute personne qui tente de franchir les grillages et les barbelés. Le régime est-allemand cherche à contrôler la population par le "Ministerium für Staatssicherheit", la "Stasi" (Sécurité d'Etat), poursuivant toute personne ayant une opinion non conforme. Les moyens de communication sont systématiquement contrôlés, les suspects sont espionnés jour et nuit. 
Il est impossible d'avancer plus loin. Des barrières et des patrouilles interdisent l'accès de la place. Alors que du côté ouest, il est possible d'aller jusqu'au pied du mur. Là-bas, il existe même des miradors pour les touristes ! Ici, c'est lugubre, surtout sous la pluie !


Au retour, je visite le musée de l’Histoire allemande, installé dans l’ancien arsenal. Une Histoire très officielle ! Je m’arrête aussi au Mémorial des victimes du fascisme et du militarisme. Des soldats y montent stoïquement la garde. Lorsqu’ils s’ébranlent pour la relève, ils lèvent les pieds sans se soucier des passants ! Pas vraiment antimilitariste, tout ça…
Le soir, je prends un repas dans un restaurant en ville, comme tous les jours à venir : restaurant local ou de nationalité (« Nationalitätenrestaurant ») c’est-à-dire cuisine étrangère (souvent des pays frères).
Je rentre à l’hôtel, passe la soirée au bar.

Mercredi 24 avril 1985

Il a fait froid cette nuit. Une fine couche de neige nappe la cour intérieure de l’hôtel.
En fin de matinée, je prends un train S-Bahn, train électrique urbain, à la triste gare de Friedrichstraße, pour me rendre à Potsdam.
Le terme S-Bahn fut utilisé pour la première fois en décembre 1930 à Berlin, après l'électrification du réseau de train de banlieue de la ville, depuis 1924.
Une aventure, ce voyage ! Potsdam, coupée de la métropole, se situe à la frontière de la partie ouest de Berlin. Il faudrait donc traverser Berlin-Ouest pour la rejoindre au plus court. Ce n’est pas possible. Le train va donc effectuer une large boucle autour de la ville et contourner Berlin-Ouest par l’ouest et le nord. Durant le trajet, un « uniforme » monte dans le train. Ce n’est que pour le contrôle des billets !

Le train atteint la gare de Potsdam
En avril 1945, Potsdam a  connu  un terrible bombardement britannique qui anéantit la majeure partie de son centre historique. Les alliés victorieux du Reich ont tenu au château de Cecilienhof une conférence, qui donna jour aux accords de Potsdam, scellant ainsi la disparition de la Prusse.
Tout d’abord, je me promène en ville. Il fait froid, mais avec un beau soleil. J’arpente les rues, du côté ensoleillé de préférence !


 














Rues piétonnes ou parcourues par le tram. Les petites Trabant (« Trabi ») avec leur énorme macaron de plaque « DDR » sont omniprésentes.


Les Allemands de l'Est sont aussi confrontés au manque de biens de consommation et surtout au manque de choix. Par exemple, la célèbre Trabant, conçue dans les années cinquante avec les technologies de l'époque, n'a connu que des changements mineurs et est restée à côté de la Wartburg le seul modèle de voiture disponible depuis ce temps en RDA.
Je mange dans un « restaurant de nationalité » bulgare.
Dans l'après-midi, je me rends au parc de Sans-Souci.
Parc de 290 hectares aux multiples extravagances, recélant d’innombrables trésors : des statues, des cours d’eau, des fontaines, jardins et arbustes exotiques. J’en retiens la « maison de thé chinoise », inspirée d'un pavillon du parc du château de Lunéville.


De charmants petits cabinets s'ouvrent sur la salle ronde, décorée de peintures orientales. On peut y voir un mandarin sous un parasol qui siège au sommet du toit, les colonnes de l'édifice en forme de palmiers, des personnages exotiques dorés que l'on croirait figés. La maison de thé chinoise est une folie du XVIIIe siècle, sortie tout droit des rêves des puissants.
Le château de Sans-Souci est l’ancien palais d’été du roi de Prusse, Frédéric le Grand. Potsdam est le Versailles berlinois. Façade à un seul étage, de style rococo allemand, construit au XVIIIe siècle. Le château domine six terrasses mêlant vignes et serres.


C’était le refuge du roi Frédéric II. Voltaire y passa trois ans.
Pendant que Berlin était la capitale officielle de la Prusse et plus tard de l'Empire allemand, la Cour restait à Potsdam.
La visite guidée, en groupe, est obligatoire. Il faut chausser des patins. La guide, vieille douairière impénétrable, veille au bon ordre de la visite.  

De retour à la gare, un spectacle ordinaire sous le regard blasé des jeunes de la population : les troupes soviétiques sur le quai de la gare de Potsdam.


Je remonte dans un train pour Berlin où j’arrive vers 19h.

Jeudi 25 avril 1985

A 11h06, je prends le train pour Dresden (Saxe), dans le sud du pays. A peu près trois heures de train pour 200 km.
J’arrive vers 14h. Je me rends dans un hôtel, ici aussi réservé à l’avance. C’est un Interhotel, triste immeuble aux multiples étages.
Je me balade en ville sous la pluie : premières impressions de cette ville martyre…
Dans la nuit du 13 au 14 février 1945, la ville de Dresden est victime du plus terrible bombardement aérien de la Seconde Guerre mondiale (à l'exception d’Hiroshima et Nagasaki). Plusieurs milliers de tonnes de bombes explosives et incendiaires sont déversées sans relâche par les forces aériennes britanniques et américaines. En l’espace d’une quinzaine d’heure, la ville est rasée, dévastée, en cendre. Sous l’effet d’une température souvent supérieure à 1000 degrés, des milliers de victimes disparaissent en fumée.
On a l’impression que le temps s’est arrêté. Le centre de la ville vit encore à l’heure du bombardement. La cathédrale exhibe toujours ses poutres calcinées depuis 40 ans, comme témoignage de l’inanité des bombardements alliés.

La pluie n’a pas cessé. Je suis trempé. A 17h, je rentre à l’hôtel et je reste ensuite dans ma chambre jusqu'à l'heure de sortir pour aller manger dans un restaurant.

Vendredi 26 avril 1985

Je passe la journée à Dresde, triste comme le ciel plombé d’aujourd’hui. Le cœur de la vieille ville est cerné des vestiges du passé.
Cette ville baroque, située sur l'Elbe, d'ailleurs appelée la « Florence de l'Elbe », est une ville d’histoire, résidence des ducs et des rois pendant 700 ans.
Impressionnant, ce centre historique en ruine… En revanche, le reste de la ville donne envie de fuir l’urbanisme socialiste, notamment de grands immeubles affublés de banderoles à la gloire du régime, comme « Die DDR, unser Vaterland ! » (La RDA, notre patrie).


Le matin, je visite le Zwinger, chef d’œuvre du baroque allemand, vaste palais flanqué de pavillons reliés entre eux par des galeries.


Il abrite cinq musées dont la galerie des Maîtres anciens et le musée historique. Par l’extérieur, on accède au « Bain des nymphes », une superbe fontaine baroque, qui semble laissée à l’abandon.


Sortant du Zwinger, je me dirige vers la terrasse de Brühl, face au fleuve. C’est un parc reposant qui surplombe l’Elbe.
L’après-midi, après avoir mangé en ville, je visite l’Albertinum : ce musée abrite la galerie de peintures des XIXe et XXe siècles ainsi que la Voûte verte, une collection de joyaux les plus précieux d’Allemagne.
Je fais encore une balade dans le centre-ville. Une statue de Martin Luther, érigée devant les ruines d’une église, semble irréaliste…


Ce soir, je mange au restaurant de l’hôtel. Plus cher et moins bon qu’en ville.
Après le repas, je fais une promenade dans un parc jusqu'à la nuit. On entend les cris des animaux d’un parc zoologique proche. Je rentre à l’hôtel à 21h30.

Samedi 27 avril 1985

A 10h, je prends un train pour rentrer à Berlin. On arrive à 12h45.
Je passe l’après-midi en ville, avec mon sac à dos.
La place de l’Académie se distingue par ses deux splendides cathédrales jumelles. Le Französicher Dom, construit au début du XVIIIe siècle à l’intention des protestants français, perdit son dôme pendant la guerre. Reconstruit en 1983, il a retrouvé sa splendeur d’antan : magnifique carillon sous la coupole (grappe de 60 cloches coulées dans 30 tonnes de bronze). Depuis la balustrade du clocher, très belle vue sur la ville. En face, le Deutscher Dom, étonnant miroir du premier, fut construit pour les protestants allemands.
Je visite ensuite la tour de télévision. Avec ses 365 mètres de hauteur, elle est visible de n’importe quel point de la ville. C’est le monument le plus visité de la capitale. L’entrée est payante. Dans la boule d’acier de 32 m de diamètre, un café est situé sur une partie mobile qui effectue un tour complet en une heure. A un point de vente philatélique, j’en profite pour acheter des timbres de la RDA à ramener à Serge.
Je termine l’après-midi par une dernière balade au centre puis un repas dans un restaurant local.

Je rejoins la gare internationale à la nuit. Après les contrôles de police, je gagne les quais. Je fais les cent pas en attendant l’autorisation de monter dans le train. Une ligne à la peinture blanche indique la limite à ne pas dépasser. Mal discipliné, je chevauche la ligne. « Achtung ! » prévient un militaire en arme, préposé à la ligne blanche. Bien entendu, au bout d’un moment, nouvel oubli. Cette fois ça ne rigole plus. Le soldat pointe sa mitraillette d’un air menaçant. Sagement, je recule !
Peu avant l’heure, j’ai l’autorisation de monter dans le train. Je suis seul dans un compartiment.
A 22h22, le train s’ébranle…

Dimanche 28 avril 1985

... Traversée de la République Démocratique Allemande pendant la nuit.
Je m’allonge sur la banquette pour dormir. Je suis réveillé pour un contrôle à hauteur d’Erfurt vers 4h du matin.
Le train passe ensuite en République fédérale d’Allemagne. L’aube se lève et le train traverse le pays jusqu’à Karlsruhe, passe la frontière française à Kehl.
J’arrive à Strasbourg à 10h15.


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